Interview : Joris Chamblain nous parle de son métier de scénariste et de ses lectures d’enfance

(c) J. Chamblain

Les Carnets de Cerise, les aventures d’Enola, Sorcières Sorcières et Lili Crochette, vous connaissez l’univers graphique de ces héroïnes attachantes… mais connaissez-vous l’homme qui se cache derrière ces scénarii incroyables ?

Joris Chamblain a très gentiment accepter de répondre à nos questions un peu indiscrètes. Il nous parle de son travail de scénariste en collaboration avec les illustrateurs ainsi que ses souvenirs de lecture d’enfance.

Allez hop, je vous emmène de l’autre côté du miroir…

 

 

La Licorne à Lunettes : Beaucoup vous connaissent par votre collaboration avec Aurélie Neyret sur les Carnets de Cerise, mais vous avez également publié d’autres ouvrages, comme les aventures d’Enola et récemment le « Journal d’un enfant de lune », un de mes coups de cœur de l’année dernière (lire la chronique ici). Entrons un peu dans les coulisses de votre métier de scénariste, parlez-nous de vos sources d’inspirations ?

Joris Chamblain : Ma source d’inspiration principale est la vie courante. Les gens, leur histoire, les flots d’émotions qu’ils traversent, les désirs qu’on refoule et qu’on cache sous des réflexes défensifs, les doutes, les espoirs, le découragement… je déteste la question « ça va ? », je lui préfère « comment ça va ? ». Elle nécessite une plus grande réflexion pour y répondre et suggère un réel intérêt de la part de celui qui la pose. Voilà mon inspiration. J’aime partager des parcours émotionnels, que je retranscris ensuite dans mes livres à travers des univers ou des situations inédites.

(c) AL Nalin

La Licorne à Lunettes : Se mettre à hauteur d’un enfant pour écrire et créer tout un univers, cela implique quoi exactement ?

Joris Chamblain : Cela implique une responsabilité. Vous voulez faire des livres pour enfants ? Ok ! Mais connaissez-vous réellement les enfants ? Leur psychologie, leurs besoins, leur façon d’apprendre et d’appréhender le monde. Si c’est non, prenez le temps de le découvrir et si vous avez envie de les accompagner là-dedans, alors allez-y. Mais si vous n’avez pas envie, que vous prenez les enfants pour des petits porte-monnaie sur patte, à qui il ne faut rien dire tant ils sont fragiles et ignorants, alors passez votre chemin. Sinon vous vous ferez du mal et vous en ferez à vos lecteurs.

Mais si l’envie de les accompagner est la plus forte, vous venez de franchir l’étape la plus importante. Maintenant, pensez à être bienveillant, humble et à l’écoute dans tout ce que vous entreprenez pour eux et n’ayez pas honte de grandir avec eux. C’est un beau voyage qui vous attend.

La Licorne à Lunettes : Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

Joris Chamblain : Me lever le matin pour raconter des histoires. Ça me rend heureux. Et de savoir pourquoi je me lève le matin, et de savoir que c’est pour aider, à ma petite échelle, des enfants à grandir.

Aurélie Neyret (c)

La Licorne à Lunettes : Vous avez l’habitude de travailler en collaboration avec des illustrateurs, comment se passent ces moments d’échanges ?

Joris Chamblain : Très bien, merci ! Plus sérieusement, chaque nouvelle collaboration est un enrichissement. Rencontrer de nouvelles personnes, se retrouver sur une sensibilité et avoir envie de créer quelque chose ensemble, ce n’est pas rien ! Je prends beaucoup de temps maintenant à faire connaissance et c’est seulement ensuite que les projets qui doivent naître naissent. Je fais ce travail essentiellement pour le partager avec des collaborateurs !

La Licorne à Lunettes : Vous avez récemment travaillé avec Anne-Lise Nalin. Qu’est-ce qui vous plaît dans son univers ?

Joris Chamblain : Anne-Lise a un sens du réalisme qui me transporte à chaque planche. Elle fait jouer ses personnages à la perfection et semble le faire avec une facilité assez déconcertante. Ses personnages sont beaux, ils ont chacun une gestuelle, une expressivité et ils ont du poids. Et ça, c’est quelque chose de rare et pourtant primordial : arriver à illustrer l’influence de la gravité sur un personnage n’est pas donné à tout le monde, alors que c’est ce qui va donner toute la puissance et la justesse de sa gestuelle. Parce qu’il faut être honnête, la gravité à l’air d’avoir beaucoup plus d’influence sur un ado blasé, quand il s’agit de lui faire faire quelque chose !

La Licorne à Lunettes : Aurélie Neyret, Lucile Thibaudier, Olivier Supiot ont également travaillé avec vous, qu’est-ce qui caractérise le plus leur travail respectif ?

Joris Chamblain : La force d’Aurélie, ce sont ses lumières. Elle a une façon d’éclairer ses cases qui me transporte à chaque fois. Elle habille ses personnages de lumière et chaque expressivité est renforcée, sublimée même par ses lumières. Elle arrive à rendre le dessin le plus épuré très émouvant juste en l’éclairant comme il faut.

(c) Ed. de la Gouttière

Lucile est une créatrice d’univers. Quand on la branche sur un micro-détail, elle va être capable de sortir toute une banque d’images pour approfondir cet univers et le rendre foisonnant. Souvenez-vous du marché du tome 3 de Sorcières sorcières. Moi j’ai juste à lui expliquer qu’il y a des étals fournis. Elle, elle les remplit de livres, de citrouilles, de chaudrons, de cages, de potions… Elle a une richesse de vocabulaire graphique assez impressionnante et elle ne cesse d’en rajouter et d’avoir des idées. Et sa force est que tout est très digeste et jamais trop ! On parcourt ses cases avec gourmandise et on découvre constamment de nouvelles choses. J’adore !

Olivier Supiot est un peintre fabuleux. Il réalise Lili Crochette et Monsieur Mouche en couleurs directe et il a une facilité à créer des « gueules » qui est géniale. Ses personnages sont hilarants. Ses mouettes, ses requins, ses pirates, il arrive à tous leur donner un air débile qui colle parfaitement à l’histoire.

Bon, je pourrais développer des heures sur chacun de mes collaborateurs, mais après ils risquent de lire cette interview et d’avoir des exigences, alors je m’arrête là !

 

La Licorne à Lunettes : Quels sont les thèmes qui vous tiennent particulièrement à cœur ?

Joris Chamblain : La bienveillance essentiellement. Et de fait, tout ce qui en découle pour la mettre en place et la maintenir dans chaque geste, chaque parole. Raconter des histoires pour les enfants, c’est les aider à grandir. C’est ce qui mène à la paix.

La Licorne à Lunettes : Séquence souvenir… Y a-t-il un écrivain, un libraire, une bibliothécaire, un professeur qui a déclenché chez vous l’envie d’écrire et de construire d

es histoires pour les enfants ? Et si oui, pourquoi ?

Joris Chamblain : Oui, j’ai eu plein de mentors au fur et à mesure de mon existence. Mon père écrit et met en scène des pièces de théâtre. En cinquième j’ai comme prof de français Pascal Rüter, aujourd’hui génial auteur du « Coeur en braille » ou encore de « Barracuda forever ». Plus tard en BD, j’ai pris des cours avec le scénariste Stéphane Betbéder et je pense que toutes ces personnes, à leur manière, ont contribué à forger en moi l’envie d’écrire des histoires. Enfin, j’ai travaillé 9 ans en école primaire, ce sont donc les enfants eux-mêmes qui ont fait le reste !

La Licorne à Lunettes : Certains auteurs s’enferment pour créer seul, d’autres travaillent la nuit, d’autres encore ont un fauteuil ou un stylo fétiche. Et vous, avez-vous un rituel pour écrire ?

(c) J. Chamblain

Joris Chamblain : Un peu de tout ça à la fois. J’ai un bureau, je m’y sens bien la nuit et il ne faut surtout pas me parler quand je suis en pleine écriture, sinon ça me fait perdre le fil ! Je me suis aménagé un espace rassurant. Sur mon mur, il y a des tas d’extraits de mes divers travaux. C’est donc très gratifiant de lever les yeux et de se rendre compte du travail accompli. C’est propice à la sérénité et à l’envie de toujours continuer ainsi ! 

 

La Licorne à Lunettes :  Petit Prince ou Petit Nicolas ? Babar ou Oui-Oui ? Club des Cinq ou Fantômette ? Quel a été votre héros ou héroïne d’enfance préféré(e) et pourquoi ?

Joris Chamblain : En romans, je passais du club des 5 à Stephen King, de Jules Verne à Agatha Christie… Je lisais vraiment de tout. Mais LE livre de mon enfance qui a orienté nettement les histoires que je voulais raconter, c’est « le perroquet qui bégayait » de Alfred Hitchcock, contant les aventures de 3 détectives dans les années 60. je rêve de l’adapter en bd un jour !

La Licorne à Lunettes : Merci pour cette découverte Hitchcockienne, je vais m’empresser d’aller le déguster  !  Petite question indiscrète : avez-vous eu la chance de rencontrer l’un de vos auteurs/illustrateurs favoris ?

Joris Chamblain : C’est assez particulier. J’étais un ado dévoreur de bandes-dessinées et aujourd’hui je suis un auteur. Je pense que c’est la saga Lanfeust de Troy qui m’a vraiment montré la voie que je voulais prendre et aujourd’hui il m’arrive de dédicacer à côté de Didier Tarquin, d’échanger quelques mots… c’est assez fou ! Ce métier m’a en effet permis de rencontrer des 

monstres de la bd ou du dessin-animé. J’ai quand-même l’honneur de travailler avec Derib sur Yakari, j’ai rencontré Alan Lee (dessinateur sur Le seigneur des Anneaux), j’ai rencontré René Borg (réalisateur du dessin-animé les Shadok et directeur artistique sur Ulysse 31). Bref, je rencontre des gens que j’admire et c’est un régal à chaque fois.

Sinon, j’ai rencontré Alexandre Astier, un dieu vivant pour moi, et n’ai pu balbutier que trois syllabes incompréhensibles… Bon, c’est déjà ça.

La Licorne à Lunettes : Ahh, l’histoire du soir, un moment à part. Et pour vous ? Qui vous lisait ces histoires et quel souvenir en gardez vous ?

Joris Chamblain : Je ne crois pas que mes parents me lisaient des livres. Je n’ai jamais eu de livres jeunesse et c’est sans doute pour ça que c’est un univers assez abstrait pour moi. Par contre, mon papa inventait plein d’histoires et en écrivait. J’imagine que nous avons là les prémices de ce que j’allais devenir.

La Licorne à Lunettes : Séquence émotion. Vous souvenez-vous du premier livre que vous avez lu seul et en entier ?

Joris Chamblain : J’ai appris à lire très tôt. À l’âge de 3 ans j’identifiais toutes les lettres durant le jeu « la roue de la fortune ». du coup, je pense que le premier livre qui a suivi est arrivé très tôt et je ne m’en souviens plus. Mais ce devait être une bd. Un Mickey sans doute. Je me rends compte qu’il y avait du coup deux langages à déchiffrer en même temps, les mots et les images ! Ça aussi, ça a forgé ce que je suis aujourd’hui.

La Licorne à Lunettes : Séquence frisson. Un souvenir d’avoir lu sous les draps avec une lampe de poche ? 

Joris Chamblain : Oh oui ! J’adorais fabriquer des « cabanes » dans ma chambre en punaisant des draps au-dessus de mon lit. J’ai toujours aimé les cocons, les refuges. Des bd, des gâteaux, quelques jouets… c’était l’endroit idéal pour s’éloigner du monde.

La Licorne à Lunettes : Qui dit livre d’enfance, dit expression mythique conservée de ces lectures. Tout le monde connait « Bachibouzouk » du Capitaine Haddock, « Un rien chouette » du Petit Nicolas ou encore « ça me troue » d’Agrippine. Et vous, en avez-vous gardé une ? 

Joris Chamblain :  Sans doute le « snif » du Disciple dans Léonard. Il y a tant de désespoir dans son regard à cet instant et c’est toujours une adresse au lecteur ! Ça m’a toujours fait rire étant gamin qu’il nous prenne ainsi à parti l’air de nous dire « c’pas facile la vie de héros de bd ! ».

La Licorne à Lunettes : Quand on aime un livre, on aime l’offrir pour transmettre le plaisir de l’évasion mais également pour le coffret de trésors qu’il représente en tant qu’objet. Et vous, quel est le livre que vous avez aimé petit et que vous avez ensuite racheté pour des proches ?

Joris Chamblain : Je ne fais pas ça. Les goûts de lecture sont quelque chose de très intime et je pense qu’il faut être prudent à offrir un livre qu’on a aimé. Quand la personne à qui vous l’offrez l’a détesté, on se sent triste, on ne regarde plus ni le livre, ni la personne de la même façon et je trouve ça dommage. J’essaie d’offrir des livres aux gens selon leurs goûts et non selon les miens. Ce n’est pas facile non-plus mais c’est tellement plus enrichissant de faire d’abord connaissance avec la personne puis de partager ensuite sur le plaisir de lecture, sans rien attendre de précis !

La Licorne à Lunettes : Séquence indiscrétion : quel est le livre que vous êtes en train de lire ? 

Joris Chamblain : Je suis en train de lire le tome 1 de « La passe-miroir », de Christelle Dabos édité chez Gallimard. J’en entends énormément de bien, ma femme est fan et sur Instagram on constate qu’on a les mêmes lecteurs ! Alors je me lance. Et je sais que Christelle est fan des Carnets de Cerise. Je me devais de découvrir son œuvre à mon tour !

La Licorne à Lunettes : Lors de séances de dédicaces, vous avez l’occasion de rencontrer vos lecteurs, les petits comme les grands, avez-vous une anecdote à nous raconter, un moment qui vous a particulièrement touché ?

Joris Chamblain : Quand on fait un livre, on rentre dans l’intimité des gens. Ils le lisent au lit, aux toilettes, dans le salon, seul avec le chat sur les genoux, en couple ou en famille. On partage un moment de silence intime avec eux et résultat les lecteurs ont la sensation qu’on fait partie de leur vie. Alors ils viennent nous remercier pour ça, pour leur avoir créé un petit cocon de bien-être et c’est génial de recevoir encore plus que ce qu’on a voulu donner ! Il y a des histoires rigolotes où j’ai dû faire une dédicace pour inciter une jeune femme à dire oui à la demande en mariage qu’allait lui faire son conjoint (elle a dit oui^^), certains nous offrent les cookies réalisés grâce à la recette dans le tome 3. Il y a des choses plus tristes, comme cette maman qui vient me voir avec le tome 4 me disant qu’elle va l’offrir à sa fille à l’hôpital pour une forte anorexie. Fille qu’elle ne reverra pas jusqu’à sa guérison. Cerise a été bien modestement un soutien, un lien entre mère et fille et j’ai appris plus tard que cette jeune fille s’en était parfaitement sortie ! Et puis, il y a les moments où des parents d’enfants dyslexiques me disent que leurs enfants se passionnent pour Cerise et ont la fierté de dévorer un livre en entier ! Le livre n’est plus leur ennemi un peu grâce à Cerise, alors c’est une immense victoire !

La Licorne à Lunettes : Allez un petit scoop pour nos lecteurs, quel est le nouveau projet sur lequel vous travaillez actuellement ?

(c) Olivier Frasier

Joris Chamblain : Je travaille en ce moment sur le feuilleton de l’été du journal de Mickey ! Une grande aventure de 48 planches, découpée en 8 épisodes de 6 pages chacun, qui réunira Mickey et Donald ainsi que bon nombre de vos héros préférés à la recherche d’une idole en or, le tout dans une esthétique années 30, hommage à Indiana Jones… J’avais déjà écrit un premier feuilleton de l’été l’année dernière pour le journal de Mickey et c’est une véritable opportunité car je suis passionné par Mickey, Donald, Picsou et tous ces personnages depuis ma plus tendre enfance. Ce sont eux qui m’ont donné le goût des histoires en bandes-dessinées, alors les faire parler et leur faire vivre des aventures est un privilège, d’autant que cela faisait plus de dix ans qu’il n’y avait plus de création originale dans les pages du magazine ! Allez j’y retourne, j’ai un chapitre 7 sur le feu. Mais après, suivront Enola 5, Sorcières sorcières 5 et un petit bouquin bonus sur Cerise… à suivre 😉

Un énorme merci à Joris Chamblain pour ce fascinant voyage dans son univers, tant professionnel que personnel. C’est toujours un privilège de que pouvoir passer un moment intime avec un auteur qu’on affectionne tout particulièrement, un moment rare d’autant plus précieux.

Je vous invite donc à vous précipiter chez votre libraire adoré pour aller découvrir (si ce n’est pas déjà fait), les petits bijoux concoctés par cet auteur passionné et passionnant et les illustrateurs de talent avec lesquels il a travaillé ! Vivement les prochains tomes et les nouveaux projets !

 

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