Jean-B, P.P. Cul-vert, Magnus, Mimsy, Pertinax, Rita et Machin… ces noms vous sont familiers ? Sans aucun doute ! Vous n’avez pas pu passer à côté de ces personnages truculents et de leurs aventures fantastiques, tout droit sortis de l’imaginaire d’un grand auteur : Jean-Philippe Arrou-Vignod.
Les Histoires des Jean-Quelque-Chose, récit quasi-autobiographique (que l’on vient de finir de relire avec ma Licornette en version intégrale), m’ont particulièrement fait rire : c’est drôle et touchant à la fois, la vie quoi !
Aujourd’hui, nous avons donc la chance de plonger dans l’univers de Jean-Philippe Arrou-Vignod, qui a accepté de partager avec nous ses souvenirs de lectures d’enfance ainsi que sa passion pour l’écriture.
– La Licorne à Lunettes : Beaucoup d’enfants ont grandi avec vos livres et leurs personnages si charismatiques : Rita et Machin, les aventures des Jean-Quelque-Chose, les enquêtes au Collège avec P.P. Cul-vert, Magnus Million. Et vous, quel a été votre livre d’enfance préféré ?
Jean-Philippe Arrou-Vignod : La grande lecture de mon enfance a été le Club des cinq. J’ai dû lire chaque tome de la série plusieurs fois. Une véritable addiction.
– La Licorne à Lunettes : Le rituel de l’histoire du soir, une vraie madeleine de Proust, n’est-ce pas ? Et vous, quel souvenir en gardez-vous ?
JPAV : Oui, j’ai bien le souvenir de moments de lecture (et de chant) au moment du coucher. Mes parents nous rassemblaient sur le tapis du salon, en pyjama, et nous lisaient un roman, soir après soir. C’était un moment privilégié de partage et d’échange. Une belle façon, aussi, d’entrouvrir la porte des rêves.
– La Licorne à Lunettes : Petit Prince ou Petit Nicolas ? Babar ou Bennett ? On a tous un héros livresque. Quel a été votre héros ou héroïne préféré(e) et pourquoi ?
JPAV : Tintin, sans doute, le héros que j’aurais voulu être: courageux, déterminé, curieux, indépendant… Et puis, j’aurais adoré me reposer de mes aventures dans le confort du château de Moulinsart.
– La Licorne à Lunettes : Allez, dites-nous tout : un souvenir d’avoir lu sous les draps avec une lampe de poche ? Vous l’avez souvent raconté dans la Famille aux petits oignons, mais était-ce vraiment le Club des Cinq ?
JPAV : Oui, le Club des cinq, mais aussi Langelot agent secret, ou Bennett et Mortimer ; plus tard encore, Bob Morane… Lire en cachette, la nuit, donnait un piquant supplémentaire, celui de la transgression, aux histoires qui m’enchantaient. Mes parents, je crois, n’étaient pas dupe.
– La Licorne à Lunettes : Les livres étaient-ils très présents dans votre famille ?
JPAV : Mes parents étaient et sont toujours de grands lecteurs. C’est eux, je crois, qui nous ont transmis le goût des livres et des histoires.
– La Licorne à Lunettes : 1984, un chef d’œuvre d’Orwell… mais également une année charnière pour vous : première rentrée en tant que professeur de Français et publication de votre premier roman. Deux vocations : écrivain et enseignant ! Comment traduiriez-vous la passion qui vous animait à l’époque ? Quelles étaient les missions que vous vous étiez données en tant que professeur ?
JPAV : Ajoutons à cela, plus important que tout : la naissance de mon premier enfant. Oui, 1984 est une année phare dans ma vie. Ma mission d’enseignant ? Transmettre le goût d’apprendre. Eveiller la curiosité sans laquelle, je crois, on ne peut échapper à la fascination stérile pour le monde matériel.
– La Licorne à Lunettes : Dans vos classes, vous avez donné le goût de lire à vos élèves, sans aucun doute. Quels étaient les auteurs qui « fonctionnaient » le mieux selon vous et pourquoi ?
JPAV : Molière chez les classiques, première découverte du théâtre pour la plupart de mes élèves. Conan Doyle, dont nous lisions les enquêtes à la manière de détectives, traquant les indices dans le texte. Maupassant et ses contes fantastiques, modèles d’économie et d’efficacité narratives.
– La Licorne à Lunettes : Avez-vous un souvenir d’une rédaction de vos élèves qui vous a particulièrement marquée, pour son lyrisme, sa sincérité ou son humour ? Vous avez fait naître des vocations de lecteurs parmi vos élèves, bien sûr, mais pensez-vous également des vocations d’écrivains ?
JPAV : J’ai eu quelques élèves joliment doués. Aucun, à ma connaissance, n’est devenu écrivain mais quelques-uns m’ont confié qu’ils écrivaient pour leur plaisir. L’un de mes rêves d’éditeur serait de publier un jour le premier roman d’un de mes anciens élèves.
– La Licorne à Lunettes : On parle souvent de livre fondateur. Quel est le livre qui a changé votre vie ? Et pourquoi ?
JPAV : Un livre intitulé Comment on devient créateur de bandes dessinées, de Philippe Vandoooren. J’avais douze ans, j’étais fan de BD et rêvais de raconter des histoires par ce moyen plutôt que par celui du roman. Ce livre m’a, pour la première fois, fait entrer dans l’atelier de deux créateurs, Jijé et Franquin. J’en garde encore un souvenir ébloui.
– La Licorne à Lunettes : Votre passion pour les mots vous a emporté vers l’écriture. Vos histoires sont d’une efficacité redoutable, et si ponctuées d’humour. Quelles sont vos sources d’inspiration ?
JPAV : Mes livres jeunesse, je crois, se trouvent à l’intersection des deux influences majeures qui ont fait de moi un romancier : le roman d’aventure policière (le Club des Cinq, Alice détective, Fantomette, Langelot, la série Mystères, Michel, les trois jeunes détectives d’Alfred Hitchcock …) et les livres d’humour, tels la série Bennett et Mortimer, d’Anthony Buckridge, qui narre avec une drôlerie rare la vie quotidienne de petits collégiens anglais. Dans ce registre, il y a eu aussi, bien sûr, le Petit Nicolas et Treize à la douzaine.
– La Licorne à Lunettes : Certains auteurs s’enferment pendant des semaines, d’autres écrivent la nuit, d’autres encore ont un fauteuil fétiche. Et vous, avez-vous un rituel d’écriture ?
JPAV : De petites habitudes seulement, rien qui ressemble à un rituel. Comme celle de n’écrire qu’à l’ordinateur, par exemple, ou de reprendre intégralement le travail de la veille en commençant une séance d’écriture.
– La Licorne à Lunettes : Quand l’histoire frappe à votre imagination, comment la construisez-vous sur le papier (enfin, sur l’écran bien sûr) ?
JPAV : Je me laisse porter par sa force de sidération. Je ne construis rien au préalable : j’avance scène à scène, comme si j’explorais un paysage mental où m’entraînent des personnages que je découvre eux aussi au fur et à mesure. C’est une méthode peu rassurante, sans filet de secours, mais que je trouve riche et productive.
– La Licorne à Lunettes : Les mots justes, le ton juste, la situation juste. L’écriture doit-elle sonner comme une musique pour vous ?
JPAV : Oui. Il me semble que l’écriture romanesque est affaire d’exactitude dans la formulation. Cette exactitude passe par le choix des mots, bien sûr, mais aussi par la justesse musicale de la phrase. J’écris beaucoup à l’oreille, corrigeant jusqu’à entendre la petite musique que je cherche.
– La Licorne à Lunettes : Avec la série Rita et Machin, vous avez pu collaborer avec Olivier Tallec. Comment se passaient les échanges entre vous ? Le texte en premier et les illustrations ensuite ? Ou un travail davantage en ping-pong ?JPAV : Chaque album naissait d’une envie commune: une situation, une scène, un gag… A moi, ensuite, d’en faire une histoire. Je l’envoyais à Olivier qui, après l’avoir lu, se hâtait de l’oublier pour en donner sa propre version graphique. Celle-ci nécessitant des ajustements de textes, je reprenais le texte, je lui faisais aussi d’autres propositions qui déclenchaient d’autres dessins, et ainsi de suite… Un vrai ping-pong jusqu’à trouver un bon équilibre entre l’histoire et les illustrations.
– La Licorne à Lunettes : J’imagine que votre bibliothèque est remplie d’auteurs de talent. Mais quels sont les trois auteurs de Littérature Jeunesse qui vous font le plus rêver aujourd’hui ?
JPAV : Jean-Claude Mourlevat, Timothée de Fombelle et Christelle Dabos, pour ne parler que d’auteurs francophones.
– La Licorne à Lunettes : Quelle est la mission d’un auteur Jeunesse selon vous ?
JPAV : Je ne sais pas si un artiste a une mission. Un auteur jeunesse, du moins, a une responsabilité à l’égard de son lecteur : celle de l’aider à grandir, à se former, à s’épanouir. Simplement parce que c’est la responsabilité des grands par rapport aux plus petits. En cela, il se distingue de l’écrivain de littérature générale, libre de se laisser guider par son seul bon plaisir.
– La Licorne à Lunettes : La lecture du soir reste un moment privilégié en famille. Et vous, que lisiez-vous à vos enfants, quel est ou a été leur livre préféré ?
JPAV : Le merveilleux voyage de Nils Holgerson à travers la Suède, de Selma Lagerlof. Ma femme a lu l’intégralité du roman à mes enfants, un été, chapitre après chapitre, juste avant la sieste. Un moment sacré qu’ils n’auraient manqué pour rien au monde.
– La Licorne à Lunettes : Un livre que vous avez aimé petit et que vous avez ensuite racheté pour des proches ?
JPAV : La série des Petitou, de Dick Laan. L’histoire d’un tout petit bonhomme qui habite avec des souris.
– La Licorne à Lunettes : Si vous avez eu la chance de rencontrer l’un de vos auteurs / illustrateurs d’enfance favoris, quel souvenir / conseil en gardez-vous ?
JPAV : Malheureusement, je n’ai jamais rencontré un des auteurs de mon enfance. J’aurais adoré cela. Mais les écrivains jeunesse n’avaient pas la place qu’ils ont aujourd’hui. Il n’y avait pas de salons du livre dédiés, pas de rencontres dans les classes. Pour moi, ils étaient d’étranges voix sans visage, dont j’avais du mal à imaginer qu’ils existaient vraiment. Qui pouvait bien être, par exemple, ce Lieutenant X qui écrivait les Langelot ?
– La Licorne à Lunettes : Lors de séances de dédicaces, vous avez l’occasion de rencontrer vos lecteurs, les petits comme les grands, avez-vous une anecdote particulièrement originale à nous raconter ?
JPAV : Juste une belle remarque d’une maman que je garde comme un trésor: « Merci de faire rire nos enfants. » C’est le plus beau compliment que l’on puisse faire à un écrivain jeunesse.
– La Licorne à Lunettes : Un petit scoop ? Sur quel projet êtes-vous en train de travailler actuellement ?
JPAV : Je commence la septième histoire des frères Jean.
Un très grand merci à Jean-Philippe pour ces beaux moments de partage durant cet entretien. Rendez-vous très prochainement pour retrouver la famille des Jean-Quelque-Chose !
Ma petite confession : fin 2016, j’ai eu l’opportunité de suivre l’Atelier de la NRF « Ecrire pour la jeunesse » animé par Jean-Philippe. Une aventure humaine incroyable. Beaucoup de doutes, beaucoup de plaisir à partager son bonheur d’écrire ou sa difficulté dans le processus de création, beaucoup de moments d’émotions à l’écoute des textes de chacune. Quelques moments de grâce, une parenthèse enchantée, rythmée par les conseils avisés d’un maître-mots éclairé. Cherry on the gougère, une session en compagnie de Timothée de Fombelle et François Place partageant avec nous leur passion pour l’écriture et cette liberté vibrante qu’offre la littérature pour la Jeunesse.
A suivre…
Quelques ouvrages parmi la bibliographie de Jean-Philippe Arrou-Vignod chez Gallimard Jeunesse :
– Une Famille aux petits oignons et Une belle brochette de bananes – Histoires des Jean-Quelque-Chose
– La série « Enquête au collège »
– La collection Rita et Machin avec Olivier TALLEC
– Magnus Million
– Mimsy Pocket
– Agence Pertinax
– L’invité du CE2
– Bon Anniversaire
– Le collège fantôme
– Louise Titi
Voir la vidéo Interview de Jean-Philippe Arrou-Vignod autour de Magnus Million
Voir la vidéo Interview de Jean-Philippe Arrou-Vignod et Olivier Tallec autour de Rita et Machin
Un commentaire
Excellents souvenirs !!
Merci à toi petite Licorne 🙂