La fourmi rouge

(c) Sarbacane

Révolte, colère, rébellion, fureur, sentiment d’injustice, secrets, instabilité, hobbies bizarres, phobies hors du commun, jalousies, désarroi, critique acerbe, méchanceté gratuite, humiliations, honte, mensonges, humeur écrasante… autant de caractéristiques pour définir un chantier en pleine construction : l’adolescence.

Vania le sait bien, elle nage en plein de dedans, voire elle s’y noie presque. À quinze ans, le constat peut sembler rapide sur un aussi court chemin de vie parcouru ? Et bien non, pas pour certains échantillons du genre humain comme Vania Strudel, lancée de plein fouet contre le mur de la réalité et son crépis abrasif. Ça pique, ça mord, ça déchire, ça se débat… la vie quoi ? Une bonne dose de déceptions et de rêves avortés contenus avec difficulté dans un petit être en quête de devenir justement. Quand on pense être tombée sur la case banqueroute de la roue de la vie, on croit devoir en baver à chaque portion d’air inspiré.

Au fond, je suis surtout handicapée par une propension irrépressible à tout faire de travers.

En même temps, avec un œil mi-clos façon Colombo et « un blase de protège-slip accolé à une pâtisserie autrichienne bourrative » c’est pas gagné-gagné, vous me direz, ma bonne dame. Quitte à être nulle, autant être la présidente du Club des Minables et le revendiquer, non ? Mouaip…

Youpi. La moitié de mes chers camarades m’appelle Tampax et le reste opte pour Strud’ball.

Vous êtes bien accrochés ? Car, la Fourmi Rouge, c’est du lourd, coco, du dense, du sérieux. Un roman initiatique où l’héroïne vous embarque sur le grand huit de son adolescence : loopings de fous rires, dégringolades de hontes passagères, écrasement sous la douleur sourde d’une enfance traumatisante, coups de gueule bien hystériques et aux dommages collatéraux explosifs… Et toujours la mèche rebelle et le menton frondeur levé bien haut.

Je ne supporte pas les mots « croûte », « flétan » et « conchier ». En revanche, j’éprouve un plaisir suspect à dire « plexus », « superfétatoire » ou encore « pyrolyse », et je m’efforce de les placer dès que je peux.

Présentation du milieu hostile dans lequel évolue la bestiole : un père mère-à-tout-faire un peu fantasque exerçant un métier qui embaume le dégoût (enfin, qui embaume surtout les trucs à plumes et à poils morts) mais qui, telle une âme sœur, sait trouver le chemin de la concorde ; Pirach, un voisin-copain-frère sur lequel on peut compter dans presque toutes les situations d’exclusion ; Victoire, une copine d’infortune aux relents frelatés de sardine un tantinet avariée mais optimiste invétérée, un grand-père catatonique d’adoption promu confident-en-chef, un fantasme incarné nommé Grégoire, et quelque nuisibles éparpillés par-ci par-là, dans les alentours.

C’est tellement génial de partager son cerveau détraqué avec quelqu’un, d’être à deux sur les mêmes pensées folles plutôt que seul face à sa raison.

Tout ne serait pas si pourri dans ce royaume d’AdolescenceLand si le sort ne s’acharnait pas contre Vania… Enfin, c’est ce qu’elle croit, enfermée dans sa bulle imaginaire urticante et du haut de ces quinze premières années de boulet revendiqué… En même temps, si cette « Charlotte Crevure Pouffiasse Kramer » ne lui cherchait pas tous le temps des poux, le calvaire pourrait être moins pire… Quoique… Une brosse à toilettes peut vite devenir une arme redoutable quand on a une dent (en moins) contre un esprit aussi malfaisant…

Je rentre en seconde demain matin et je crois que je préférerais subir une coloscopie chaque jour pendant un an plutôt que d’entrer au lycée Victor Considérant…

Justement, cette veille de rentrée en seconde est décisive pour Vania qui reçoit un mystérieux mail de la « laboccadellaverita” l’invitant à devenir ce qu’elle est (oui, il y a aussi du Nietzche dedans…) : “Tu as le droit d’être un individu à part entière plutôt qu’un vague point dans la masse. Certes, nous sommes tous des fourmis, vus de la lune. Mais tu peux être la rouge parmi les noires. Qu’est-ce que tu attends pour vivre ?! Plus tard c’est maintenant. Demain c’est tout de suite. Passe la seconde”. L’electrochoc est violent, la reaction de Vania est sans appel : “Je ne veux plus me laisser pisser dessus par le destin”. Et vous, que feriez vous ?

Le style est direct, corrosif, efficace ! Du vécu ? Sans doute un brin… La répartie comme moyen de survie mis au service d’une plume qui sait manier l’humour féroce qui vous déride les zygomatiques à s’en faire péter les jointures, tout comme la claque en pleine gueule quand la douleur remonte à la surface et vous crache au visage les traumas d’une enfance pas facile facile… C’est brillant, c’est juste, totalement à la hauteur du lecteur qui peut s’identifier et suivre le parcours initiatique de cette anti-héroïne se débattant dans la boue du ridicule imaginaire dans lequel elle pense être enlisée. Aux côtés de cette narratrice caustique qui confie ses émois et ses coups durs, on vit des émotions intenses, et surtout, on rit à chaque page, c’est totalement addictif !

La cerise de ma cerise.

Si le récit (par sa forme et son fond) est totalement original, j’ai aimé y percevoir des effluves de Comme des Images et Les Petites Reines de Clémentine Beauvais pour le travail d’introspection des personnages et le contexte de survie au collège, peut-être, et pour l’auto dérision quotidienne, véritable rempart de ces cabossés, ces différents, ces hors normes qui n’ont pas d’autres choix que d’anticiper les diatribes en les anticipant, frôlant parfois avec l’autodestruction…

Alors ce serait ça, le bonheur : accepter les choses et les gens tels qu’ils sont pour en tirer le meilleur ?…

Des rebondissements spectaculaires et beaucoup d’humours (premier degré, noir, corrosif, jamais prout-prout mais parfois scato-blagueur) dans ce premier roman, d’une efficacité exceptionnelle, le bon remède anti coup de blues ! Le COUP DE COEUR de la RENTREE !

Glissez-vous quelques heures dans la peau de Vania Strudel, une ado délicieusement décalée, et vous en ressortirez… dégénéré… euh non régénéré 😉 Sortie le 23 août !

Auteure : Emilie Chazerand
Editeur : Sarbacane – 258 pages – 15,50 euros
Année : Août 2017

 


 

(c) Sarbacane

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