Décomposée

Piquée au vif
par l’arrivée de Clémentine Beauvais dans la collection L’iconopop,
ma curiosité fût plus que récompensée.

Harponnée par l’idée que la célèbre « Charogne »
décrite par Baudelaire dans ce poème fondateur puisse prendre la parole,
j’ai été envoûtée par cette voix profonde si incarnée.

Au détour de ce sentier, Charles et sa muse Jeanne croisent une carcasse en décomposition. Mais ce sont les mots de cette être pourrissant, dont les bêtes grignotent les miettes et que la nature avale inexorablement qui nous arrivent. Cette voix qui « dit » Grâce. Littéralement. La voix de cette femme déterminée, Grâce, qui, du fond du peu de chair qui lui reste, confie sa vie à cette âme sœur inespérée, Jeanne.

Jeanne écoute la voix de Grâce, dévouée à la cause des femmes, qu’elle a l’impression de comprendre, étape de vie après étape de vie. Depuis la brutalité de l’enfance où elle est un rempart pour ses petites sœurs, l’arrivée en ville dans une maison close où « ces amies sont comme des sœurs », ses talents pour manier l’aiguille en tant que couturière de tissus le jour et réparatrice de chairs la nuit, ou encore bouleversante faiseuse d’anges et grande griffue vengeresse des oubliées. Une vie de sacrifice. Une voix criante de liberté.

Il n’y a pas de plus intense voyage que celui que permet le pouvoir de l’imaginaire dans l’écriture. Quel point de vue brillant, quelle virtuosité dans l’enchâssement des récits : confidence personnelle, souvenirs, dialogues entre les personnages, mêlant roman, polar et théâtre. Le tout cadencé par le rythme des vers libres, dont les sonorités entrent subtilement en résonnance et dont la musicalité est renforcée par les jeux graphiques de la mise en mots. Jubilatoire ! Un texte habillement ciselé qui se lit, s’écoute et s‘admire comme une œuvre multisensorielle.

Continue Reading

Filles de la Walïlü

Je sème les livres que j’aime un peu partout et c’est toujours un plaisir qui réchauffe le coeur quand ma Licornette passe la main sur une couverture, retourne le livre pour en déguster le résumé et l’ouvre pour s’y plonger.

Le choix du jour se porte sur ce formidable roman de Cécile Roumiguière (sorti en février 2020) dont l’écriture me transporte à chaque fois, dans cette forêt où plane la Walïlü, auprès de Albaan, Lana, Soriane, Nanna, à Ann-ville, sur la presqu’île de lurföll où les femmes gouvernent.

Je me souviens encore de ce dernier moment d’échanges organisé par L’ecole des loisirs où l’autrice nous présentait son roman… Vivement les prochaines rencontres.

« J’attends que la littérature m’ouvre des portes, des forêts. C’est ce que j’essaye de faire : créer ces petites bulles pour réfléchir et permettre de trouver ses propres réponses. » Cécile Roumiguière

Continue Reading

Radium Girls

Depuis quelques temps, cette BD réalisée aux crayons de couleurs dans 2 tons de camaïeu violet et vert me faisait de l’œil. Le sujet m’interpellait également.
Tout le monde associe le radium à Marie Curie et son mari, et la vulgarisation de l’origine de cette découverte avait été brillamment faite au théâtre avec « Les palmes de Monsieur Schultz »,  mais peu de récits témoignent des conséquences de l’utilisation de ce nouveau matériau.

Plongée dans les États-Unis des années 1920, où l’élément miracle baigne l’Amérique de son aura phosphorescente. On va suivre le destin de Edna, Grâce, Katherine, Mollie, Albina et Quinta dans leur atelier où elles peignent minutieusement des cadrans de montre avec cette peinture si spéciale qui permet de lire l’heure dans le noir.

Une peinture qui s’avère toxique, mortelle.

Complète immersion dans cette période des années folles où le sujet de la condition féminine est bouillonnant : accès au travail, libertés, droit de vote, sexisme, puritanisme. Beaucoup de messages traversent le récit au-delà du témoignage du destin de ces femmes condamnées à leurs dépends, inscrivant ainsi cet album dans l’actualité.

Continue Reading

Celle que je suis

En Inde, naître fille reste encore un handicap. Terre de modernité, ce pays continent recèle des traditions qui pèsent toujours lourdement. Anoki a 16 ans et vit au sein d’une famille qu’elle croit moderne et juste, des frères qui font des études, voyagent à l’étranger, des filles qui sont encouragées dans leurs apprentissages, et une certaine liberté de parole. Mais même au sein de cette famille aimante et alors qu’elle pense pouvoir choisir son avenir, Anoki se heurte à l’hostilité des siens. Rebelle et furieusement éprise d’une liberté qui la différencie de ceux autour d’elle, Anoki ne lâche rien, son combat sera dur et intense, secrètement partagé par un frère qui la soutient à distance et une petite soeur qui s’affirme déjà.

« Dressée face à eux qui voulaient m’enchaîner, je me cabrais de tout mon corps, de toute mon âme. »

Tout au long de ce récit initiatique, la voix de cette jeune fille se fait l’écho de toutes les femmes du monde, celles qui luttent pour davantage d’égalité, de liberté d’agir et de penser, tout simplement. Tout bouillonne en Anoki, traversée de doutes et d’espoirs. Ses désirs la portent mais prendra-t-elle tous les risques pour vivre tel qu’elle le souhaite, malgré la colère et le mépris de ses parents ? Trouvera-t-elle des alliés parmi ses frères et soeurs ? Et cet amour passionnel qui semble la révéler sera-il possible ? Son souhait vital : être l’actrice de son avenir, mais pourra-t-elle s’affranchir des traditions ?

Un livre à mettre entre les mais de tous les adolescents, filles comme garçons, pour éveiller toujours et encore plus les consciences.

« Jamais je ne m’étais sentie aussi en accord avec moi-même. Convaincue d’aller vers celle que j’étais. »


Autrice : Anne LOYER
Edition : Slalom – 304 pages – 14,90 euros
Année : Novembre 2019

Continue Reading