Connaissez-vous la véritable histoire du joueur de flûte de Hamelin ? Sans nul doute que non, on vous a fait croire à une fable bien fade… Or donc, méfiez-vous des contes, la vérité est bien pire…
Retour dans ce Moyen-Âge obscur et à sa langue si chantante. La fabuleuse conteuse Flore Vesco vous ouvre les portes d’Hamelin, cette fameuse et maudite petite bourgade envahie par les rats. La peste rôde…
La scène découvre une jeune porteuse d’eau de 15 ans, Mirella, une enfant perdue (mais pas au pays imaginaire), une miséreuse (plus près d’Esmeralda que de Cosette) qui a le don de voir ce que les autres ne voient pas.
Happé par le rythme effréné de ce récit haletant, entre mystère et fantasmagorie, le lecteur est envoûté par la musique des mots de Flore Vesco, une écriture qui fleure les parfums bruts de cette époque tourmentée. Entre roman initiatique et conte moderne, ce texte vous transporte littéralement au 13e siècle, en immersion totale dans une langue enchanteresse au coeur des plus sombres intrigues.
La force de cet ouvrage tient au rythme de l’intrigue, à la profusion de détails très précis sur les odeurs, les matières, les sensations, l’ambiguité des sentiments. Le choix d’un vocabulaire « version originale » participe à cette plongée fantastique dans le monde médiéval du conte, apportant toujours plus de réalisme dans la fiction. Comme dans chacun de ses romans, Flore Vesco travaille la langue au corps à corps pour en extraire la justesse de la description, jouant entre érudition et jeux de mots (ahh cette eau « courante » 🙂 ), en accordant un soin particulier, une vraie exigence à la narration : un travail d’enluminure ciselé qui fait que ce récit va vous hanter pendant un temps certain.
Côté personnages, coup de coeur pour Mirella qui campe une héroïne féministe nuancée, malicieuse et mystérieuse, aux prises avec une brochette de représentants masculins hétéroclites : le jeune enfant perdu surnommé Pan (tiens tiens tiens…), le vil bourgmestre manipulateur, le fascinant Gastun, l’inquiétant Guerric, l’énigmatique et troublant Peest, émissaire de la Mort… Attachants et repoussants comme on les aime !
Primement prévalait le bourgmestre, tout pimpant, remplissant son ample mantel. Pulvérisé de capiteux parfums, il se paonnait sous son précieux chapel à plûmes, et chaloupait sa poitrine plaisamment potelée.
Un récit comme un parcours initiatique, celui donc de cette jeune donzelle en train de se construire en tant que femme dans une société brute aux aboies. De façon très réaliste, on ressent le danger permanent dans lequel se trouve Mirella, à l’affût des prédateurs, sur ses gardes. Son instinct de survie lui sauve la mise moult fois. Et ce qui rend ce personnage si attachant, c’est justement sa complexité et sa capacité d’adaptation intelligente : à la fois orpheline vaillante mais jeune fille prudente et patiente, elle sait que son heure viendra. Et le souffle vibrant des notes qu’elle joue l’emportera bien plus loin que vous ne le pensez.
Le rythme de la narration suit celle de la respiration de Mirella, alternant moments vifs, haletants et séquences plus contemplatives lorsque lecteur suit ses méditations les plus intimes. On ne peut rester neutre à ses côtés, l’empathie se développe page après page et l’inquiétude monte avec le sentiment de touffeur dans lequel sont plongés tous les habitants de Hamelin. On suffoque avec eux, on étouffe, on cherche un air plus pur. Redoutable !
En termes de référence, j’ai aimé sentir vibrer l’aura d’Esmeralda (plus que Zora la Rousse ;-)) , les effluves charnelles du Parfum de Süskin, les traces de l’évocation de la peste dans Pars et reviens tard de Fred Vargas (on y retrouvera d’ailleurs l’explication de ce titre en la recommandation d’Hippocrate). Tout transpire dans Hamelin, ça suinte, ça ruisselle, ça fleure la mort et la magie noire. Délicieusement mis en mots pour stimuler notre imaginaire.
Le chirurgien avait tenté d’élaguer ces parties noircies, s’étonnant que le pesteux, diminué, certes, et coupé de partout, mais bien débarrassé des parcelles contaminées, meure tout de même sur la table d’opération. Et le chirurgien pestait après ces malades, qui refusaient de faire le moindre effort pour l’aider à avancer sur le chemin de la gloire.
Et l’humour ? Oui, il est au rendez-vous car la langue de Dame Vesco est habile et taquine : vous y trouverez une horde de petits clins d’oeil et jeux sur les sonorités, un panthéon de Saintes Patronnes des plus utiles (Sainte Aldegonde, patronne des veuves et des bidets, et Sainte Clodoswinthe, patronne des vils calembours et gausseries faisant partie de mes préférées).
Sans la moindre charité chrétienne, l’ours avait arraché son bras au prêtre, puis mangé une religieuse, avant de s’enfuir de l’église.
Vous trépignez d’en savoir plus ? Et bien que nenni, je serai fourbe et muette. « Flûte alors » pesterez-vous à mon endroit, une vile torture, j’en conviens bien aisément. Soyez heureux que le 17 avril soit passé, car nous n’avez plus aucune excuse pour ne pas vous ruer sur ce conte fabuleux et laisser son charme agir, insidieusement…
Une très belle intrigue riche en rebondissements et qui dépoussière le mythe avec enthousiasme.
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Autrice : Flore VESCO
Edition : l’école des loisirs – collection Medium + 224 pages – 15,50 euros
Année : Avril 2019
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INTERVIEW DE FLORE VESCO : PLONGEZ DANS SON UNIVERS ET SES LECTURES D’ENFANCE
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« (…) j’aime mettre en scène des personnages féminins forts ou des petites gens qui prennent le pouvoir. Mes héros, souvent, ne sont pas trop préoccupés de leur apparence, et ont du mal à se plier aux convenances… (…)
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De la même autrice (chez Didier Jeunesse) :
– De cape et de mots (chroniqué ici)
– Louis Pasteur contre les loup-garous (chroniqué ici)
– Gustave Eiffel et les âmes de fer (chroniqué ici)