Rattrapage

Je tourne à l’instant la dernière page de ce monologue déchirant de dureté et de justesse… Une lecture en apnée dans la conscience de cette jeune ado face à son innocence perdue, par sa faute…

Quel goût a le remord selon vous ? Un goût de métal, de nausée acide, de poussière moisie ? Un goût amer sans aucun doute quand votre inconséquence vous a poussé à l’extrême aux dépens d’autrui et que le masque du déni se fissure.

Et c’est justement cette bouffée d’amertume suffocante qui enserre la conscience d’une ado de 17 ans, cette fille jolie, la reine populaire de son lycée, la belle qu’on convoitait et qu’on enviait… Mais « la réalité est toujours décevante » quand elle vous rattrape et vous confronte à votre pire noirceur.

Car voilà, la reine ne brille plus autant, elle a sombré depuis quelques mois, depuis la tentative de suicide d’un élève qu’elle et sa bande de dominants harcelaient pour s’amuser…

Comme elle, il est là, sur ce banc à attendre son tour pour le rattrapage du Bac.

Et en l’apercevant, tout lui remonte. Elle faisait partie de la meute des puissants au Lycée, ceux qui raillaient les moches, les nuls, les méprisables, les inutiles selon eux. À force de brimades sur les réseaux sociaux, ils jouaient de la vanne à grand renfort de photos et vidéos dégradantes, pour le fun, en toute inconséquence, par pure méchanceté gratuite. Diablement réaliste, non ? Mais leur cible favorite, ce garçon silencieux et mal dans sa peau, a fini par craquer en se coupant les veines en cours…

Nous étions des enfants et nous ne connaissions pas encore nos places respectives dans la chaîne alimentaire.

On entendrait presque dans un lointain écho résonner le « Ce n’est pas ma faute » comme une excuse facile et puis non, elle sait qu’elle a sa part de responsabilité, il a le droit de la haïr, elle a besoin de savoir. Elle s’en rend compte, tout tourne encore autour d’elle, c’est pour elle qu’elle cherche cette absolution et elle se dégoûte d’être encore ainsi.

La force de ce texte tient à l’unité de temps du récit : l’après-midi de rattrapage dans ce lycée où les souvenirs remontent malgré eux, à un moment charnière dans la vie des personnages. Le lecteur est là, dans la tête de cette fille fragile, perdue et cinglante de lucidité, il est à ses côtés, il inspire et expire au même rythme qu’elle, avec difficulté.

J’ai déjà fait mieux, déjà fait pire, en tous cas le lendemain j’avais la gorge qui me faisait mal, le cerveau en PLS et les yeux qui brûlaient.

Un récit comme un souffle court, dans une certaine urgence, un monologue intérieur vibrant et clairvoyant. Le ton est juste, direct, chaque mot est pesé et posé avec intention. Les sentiments éprouvés successivement par la narratrice alternent entre culpabilité et disculpation, honte et dégoût de soi, perte d’innocence et désabusement, confusion et éclats d’espoir fugaces. 

Le propos interroge et secoue, l’éveil est en marche. Un moment clé dans le parcours ado-préadulte, un carrefour décisif, une prise de conscience bouleversante. Souvent sombre mais à la recherche d’une lumière.

Titre du tableau : Coeur au bord des lèvres.

Oh oui, j’ai aimé, profondément.

 

Merci à Actes Sud Junior pour cette plongée intense dans l’écriture sensible de Vincent Mondiot.

Auteur : Vincent MONDIOT
Edition : Actes Sud Junior – Collection « d’une seule voix » créée par Jeanne Benameur et Claire David – 80 pages – 9,80 euros
Année : Avril 2019

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Du même auteur : 
– Nightwork chez Actes Sud Junior
– Tifenn : 1 – Punk : 0 chez Sarbacane
– Les Mondes-miroirs chez Mnémos

 

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