Grand silence

Depuis sa sortie en juin dernier, ce livre me hante. Beaucoup d’avis enthousiastes, des libraires, des lecteurs et pourtant un malaise qui persistait.

Une peur, plutôt. La peur de se confronter à un sujet si grave et qu’il ne faut pourtant absolument pas taire : les violences sexuelles commises sur les enfants.

La postface de Théa Rodjzman est édifiante, les chiffres sont insupportables et pourtant ce roman graphique a trouvé la manière d’aborder le sujet sans voyeurisme ni violence. 

« Sur une île inconnue où vivent des humains qui nous ressemblent, une sorte d’usine géante œuvre depuis toujours. Cette étrange usine a pour mission d’avaler les cris rendus muets des enfants. Elle s’appelle Grand Silence… »

Dès les premières pages, le ton est donné, un parti pris chromatique enveloppant, parfois inquiétant, parfois bienveillant, toujours empreint d’intelligence. Ce « conte » tel qu’il a été défini par l’autrice traite ce sujet si délicat et grave sans brutalité ni complaisance.

Un ouvrage puissant qu’il est nécessaire d’ouvrir pour se plonger dans ces douleurs dont on étouffe les cris et nous aider à libérer la parole, la voie/x qui permettra de dire l’indicible, de dénoncer l’insupportable, d’ouvrir les yeux sur une réalité qui ne devrait pas l’être.

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George Sand – Fille du siècle

Quelle vie ! Quelle fresque historique et humaine ! Quelle personnalité ! Quel engagement et quelle détermination !

Ma rencontre avec George Sand date de l’enfance, de façon détournée via la vie de Chopin dans un vieux livre-audio où Francis Huster évoquait notamment leur passion. Puis, la rencontre littéraire avec La petite fadette et la Mare au diable, forcément, comme beaucoup. Et ces deux tableaux connus, Aurore Dupin une fleur dans les cheveux par Auguste Charpentier et George Sand en veston par Eugène Delacroix. Mais finalement, je connaissais peu cette femme d’exception.

Dans ce roman graphique complet et très documenté, Séverine Vidal retrace avec beaucoup de tendresse et de réalisme cette vie de libertés, sociale, politique, amoureuse, littéraire… Dès la première page, le rythme est donné, la famille d’Aurore quitte l’Espagne pour retrouver Nohant, la tension de la guerre est bien palpable, une urgence se dégage de ces premières planches, un désir de vivre intense, et c’est ce qu’on ressent tout au long de cette biographie, cette force de vie qui anime celle qui deviendra cette autrice engagée, figure de l’émancipation des femmes et du peuple.

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Ne m’oublie pas

En exergue, une citation du roman Les Années d’Annie Ernaux. Récit d’époques qui s’enchaînent, de morceaux de vie, de traces qu’on ne veut pas oublier et pourtant « s’annuleront subitement les milliers de mots qui ont servi à nommer les choses, les visages des gens, les actes et les sentiments ». Il est question de mémoire, de celle qui nous échappera.

Dès la couverture, l’émotion saisit. Des teintes de nostalgie et de douceur, et un titre tragique qui résonne, comme un appel au secours, comme une ultime requête.

Marie-Louise, la grand-mère de Clémence atteinte d’Alzheimer, vient de faire à nouveau une fugue depuis la maison de retraite où elle est prise en charge. Une de trop pour le centre qui annonce à Clémence et sa mère qu’un traitement chimique va lui être administré pour éviter qu’elle cherche à s’échapper afin de retrouver sa maison d’enfance en bord de mer. Insupportable décision pour Clémence qui entretient une relation très proche avec sa Mamycha. Une fois revenue au centre, Clémence constate que sa grand-mère est abrutie par les médicaments. Un véritable électrochoc qui la pousse, par désespoir, à l’embarquer dans une escapade en voiture loin de cet enfer. Changement de tonalité : un interrogatoire dans un commissariat, Clémence est accusée d’avoir enlevé sa grand-mère. Et les flash-back de ce road-trip imprévu se déroulent sous nos yeux page après page, dans un enchainement de situations plus émouvantes les unes que les autres.

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Le Jardin, Paris

Dès la parution en teasing des premières planches, j’avais suivi de près la sortie de ce roman graphique dont le style graphique m’avait envouté. Et c’est un grand coup de cœur.

Dès la couverture, vous êtes plongé.e dans les années 20, à Paris. Cette lampe Art déco et la lumière derrière le rideau de velours rouge annoncent la couleur et le sujet. Un cabaret nommée « Le Jardin » où toutes les femmes portent un nom de fleur et ont chacune une place particulière.

Cette silhouette en coulisses, un brin timide mais déterminée, est celle de Rose, un jeune garçon de 19 ans qui va se lancer sur les planches. Car, comme toutes les filles qu’il fréquente depuis sa naissance au cabaret dirigé par sa mère, Rose veut danser et se produire sur scène devant un public, c’est plus fort que lui et il est doué.

Si la renommée du « Jardin » n’est plus à faire, le talent de Rose est vite remarqué et devient l’attraction principale. Bien entourée par les Fleurs, Rose baigne dans une ambiance familiale, chaleureuse et protectrice. La solidarité est naturelle.

Quand Rose danse, il n’est pas « lui » ou « elle », c’est au-delà de cela, Rose emporte dans ses mouvements l’âme du public qui est touché par tant d’émotions, et particulièrement Aimé. Le « petit bourgeon » est en train d’éclore et c’est émouvant.

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Le plongeon

Depuis La Maison de la Plage, j’attendais avec impatience la nouvelle collaboration entre Séverine Vidal et Victor L. Pinel. La couverture révélée en amont avait été d’une force, tant pour le titre que pour l’illustration, que la rencontre avec les personnages du Plongeon devenait urgente.

À 80 ans, Yvonne Lhermitte – dont le nom évoque douloureusement sa situation – vit seule dans sa grande maison vide. La solitude qui pèse depuis le décès de son mari, ce corps qui se fait plus douloureux, les enfants et les petits-enfants qui se font de plus en plus rares, et ce sentiment que la mémoire est en train de la lâcher, elle aussi. Terriblement angoissant. Terriblement inexorable ? Alors, à contre cœur, elle abandonne 40 ans de sa vie pour aller là-bas. Là où on regroupe les « anciens », ceux qui ne peuvent plus continuer seuls, ceux dont la famille ne peut plus s’occuper, ceux qui ont décroché de la réalité : en EHPAD.

Ce changement de vie est rude pour cette femme indépendante, encore bien consciente que cette nouvelle vie la rapproche inévitablement de la mort. Ce n’est pas un tournant, c’est la dernière ligne droite, et c’est d’autant plus bouleversant.

Séverine Vidal est une alchimiste qui sait faire surgir l’émotion pure quel que soit le format qu’elle touche des doigts : roman, nouvelle, album, BD… La triste actualité de la vie en EHPAD aujourd’hui fait écho à ce que vit Yvonne, et nous rappelle combien la vie passe vite.

Entre rires et larmes, ce roman graphique se lit le cœur serré. L’émotion vous prend dès les premières pages : le regard d’Yvonne sur sa chienne Bellouche dont elle se sépare, le dernier claquement de la porte d’entrée qu’elle n’ouvrira plus, ses doigts sur cette glycine qu’elle ne respirera plus. Il va falloir s’accrocher car ces évocations pleines de pudeur serrent déjà la gorge et humidifient le regard. La douleur d’Yvonne face à cette séparation définitive est vive. Si elle la cache à ses proches, elle confie au lecteur ses pensées intimes, comme une lettre d’adieu, expliquant combien elle a été heureuse dans cette maison : un mariage, des enfants, une vie familiale remplie avec le temps qui file sans qu’on s’en rende compte. Et puis, la perte de cet être cher et le sentiment « d’avancer en manquant de tomber à chaque pas ». Elle n’aura plus rien ici, alors elle part.

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