Malgré tout

Deux amoureux marchant sur un pont, abrités par leurs parapluies, dans une bulle… L’histoire d’une rencontre, comme l’annonce la couverture. En y regardant de plus près, le décor est trouble, l’image est un reflet. Il faut retourner le livre pour distinguer la partie nette qui est reflétée. Est-ce le reflet d’une réalité ou celui d’un rêve inaccessible ? Tout le principe de la narration propose de répondre à cette question, en remontant l’histoire à l’envers, à rebours, depuis la fin…

L’album s’ouvre sur le chapitre 20, déconcertant et intrigant, d’une efficacité redoutable pour piquer la curiosité. Dès la première planche : c’est un coup de foudre. Ces regards intenses nous accrochent direct pour un voyage qui sera tumultueux, entre deux rives, deux destins que tout devaient rapprocher et pourtant…
Ana, une sexagénaire dynamique, ex-maire fraichement à la retraite après avoir servi corps et âme sa ville.
Zeno, un séduisant libraire-chercheur scientifique aux tempes argentées, voyageur libre et passionné par les étoiles.
Le compte à rebours est lancé au fil des chapitres pour comprendre l’origine de cet amour et les obstacles que ces deux âmes sœurs ont croisés sur leurs chemins entrecroisés.

L’intrigue est ciselée, les dialogues justes. Dès le début, les voix des deux personnages s’incarnent et l’on suit leur parcours comme dans un film.
Le trait est dynamique, la construction en 6 cases systématiques donne la cadence, les cadrages proposent des angles mettant toujours le lecteur au plus près de ces deux êtres inexorablement attirés l’un par l’autre malgré la distance, au cœur de leurs échanges et de leurs confidences intimes. Tout est choisi avec minutie, force détails, un travail sur les couleurs très réussi.
Distances, vies opposées, choix personnels, malgré tout, l’amour palpite. Une histoire d’attraction, une course l’un vers l’autre, où le temps s’étire mais ne se rattrape pas, quoique…

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Cocteau, l’enfant terrible

Repérage en librairie pour cette magnifique BD biographie sur Jean Cocteau.

Écrivain, cinéaste, poète ou encore dessinateur, Jean Cocteau (1889-1963) semble avoir eu mille vies. Retour en détail sur la trajectoire d’un enfant terrible…

« Laureline Mattiussi et François Rivière mêlent éléments biographiques et évocations oniriques de Jean Cocteau et de son œuvre aux multiples dimensions. Cocteau est un esthète d’une rare intensité, bouleversé par les avant-gardes de son époque : Richard Strauss, Picasso ou encore le jeune Raymond Radiguet, que Cocteau porte à bout de bras. Les amours, les excès, les bons mots et l’œuvre protéiforme de Cocteau se retrouvent dans cette biographie en noir et blanc au trait puissant et évocateur. »

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Radium Girls

Depuis quelques temps, cette BD réalisée aux crayons de couleurs dans 2 tons de camaïeu violet et vert me faisait de l’œil. Le sujet m’interpellait également.
Tout le monde associe le radium à Marie Curie et son mari, et la vulgarisation de l’origine de cette découverte avait été brillamment faite au théâtre avec « Les palmes de Monsieur Schultz »,  mais peu de récits témoignent des conséquences de l’utilisation de ce nouveau matériau.

Plongée dans les États-Unis des années 1920, où l’élément miracle baigne l’Amérique de son aura phosphorescente. On va suivre le destin de Edna, Grâce, Katherine, Mollie, Albina et Quinta dans leur atelier où elles peignent minutieusement des cadrans de montre avec cette peinture si spéciale qui permet de lire l’heure dans le noir.

Une peinture qui s’avère toxique, mortelle.

Complète immersion dans cette période des années folles où le sujet de la condition féminine est bouillonnant : accès au travail, libertés, droit de vote, sexisme, puritanisme. Beaucoup de messages traversent le récit au-delà du témoignage du destin de ces femmes condamnées à leurs dépends, inscrivant ainsi cet album dans l’actualité.

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Falalalala

Hep, psttt, toi là-bas ! As-tu fait ta lettre au Père Noël ? Pas encore ? Trop tôt ? Je ne crois pas, mon ami.e. Il n’est jamais trop tôt pour faire une lettre au Père Noël de la Vie ! Car c’est exactement ce que le dernier roman Falalalala de Emilie Chazerand me donne envie de faire, une fois la dernière page tournée. (Non mais ce titre !! Non mais cette couverture !! Non mais cette écriture de ouf !! Non mais merci de tout ça !! Non mais cours acheter ce livre !!) 

Car ce livre est une ode à la vie, à profiter de chaque seconde, de ceux qu’on aime, nos proches et nos moins proches, ceux qui arrivent et ceux qui partent. Et tout ça dans une explosion de rebondissements désopilant-émotionnants totalement jouissifs (si, si). En un mot : « Fantastibuleux » !

Alors voilà, oui, ce roman est de toute beauté et de grande nécessité ! Nom d’un Bredele, j’ai savouré chaque friandise mises en mots par la fabuleuse Dame Emilie. Et ce fut un régulier lâché de commentaires vocaux pour mon entourage (famille et/ou baignoire) pendant ma lecture : des « nooon, mais elle ose, c’est trop bon » fourrés d’éclats de rire, des « oh mais oui » fulgurants au rythme de chaque punchline feudartifiesque et des « eh beh c’est malin tiens » aux lèvres serrées et menton tremblotant, touchée par une émotion brute qui m’a serré le coeur.

On ne peut pas résumer l’histoire en quelques lignes (parce qu’il faut courir acheter ce roman pour le dévorer, on te dit !) mais on peut t’allécher, lectrice, lecteur… Car tu vas vivre des émotions fortes aux-côtés de la famille Tannenbaum, et tout particulièrement de Richard, 19 ans, seul « grand » d’une famille composée de « petites » personnes aux tempéraments « XXL » avec en tête de liste, Bettina, Fritzi, Katinka, Zella, Leni, Herta et… Ludovika ! Accroche-toi, car c’est parti pour plus de 400 pages de folies montagnerussiennes auprès de gens normalement bizarres et bizarrement normaux. Alors préviens ton coeur (et tes zygomatiques), ça va secouer chéri.e.s !

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Formica

Bon dimanche ! Et bon appétit bien sûr !

Encore une fois FabCaro excelle dans l’art de disséquer le genre humain, dans toute son absurdité et sa médiocrité.
Qui n’a pas eu l’occasion de vivre un déjeuner dominical en famille risque-t-il de passer à côté de cet humour corrosif ? Quel nenni ! Car avant tout FabCaro parle de nous, de toi, de lui, d’elle, de l’humain qui est en toi, dans toute sa bêtise et son incongruité. Et cette satire nous tire des fou rires incroyables, parfois acides car plein de souvenirs, parfois francs et cathartiques car rire de nous est une source de santé mentale finalement, et c’est bon de rire Ah Ah, oui c’est bon de rire parfois.
À table, la panique monte car aucun sujet de conversation ne vient, et le silence convoque le pire. Et le pire appelle le délire, et le délire engendre le no-limit, un lâcher-prise complet. Et cette folie douce dans laquelle sombre les personnages de cette tragédie neo-antique nous entraîne loin. C’est jubilatoire ! C’est sain.

Un cocktail déjanté mêlant l’ubris des MontyPython, le nimportnawak des Nuls, l’exubérance de Buster Keaton, l’irrévérence de Pierre Desproges tricoté avec délice et brio par un FabCaro déchaîné. Unique !

Tout est possible, et chaque détail est croqué avec perspicacité : un huis clos explosif où tout part en vrille en quelques minutes, pour notre plus grand plaisir.
Après Le discours, qui rappelle la même unité de lieu et de temps (un repas en famille), ce Formica, tragédie sarcastique en 3 actes, va vous tirer les larmes… de rire, évidement.

Ô merci à toi troubadour du croquis ubuesque ! Merci pour ce moment de pur extravagance désopilante !
Merci pour faire naître ces petits bijoux surréalistes, je me sens moins seule dans l’univers de savoir qu’on peut rire ainsi ensemble. Coeur avec les doigts, tous les doigts.

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