Ecumes

(c) Steinkis
(c) Steinkis

Il y a des livres avec lesquels on a rendez-vous, comme une évidence, des chemins qui doivent se croiser, des histoires qui doivent se confronter. Un sujet qui résonne particulièrement profondément.

J’attendais avec impatience son arrivée et pourtant j’appréhendais la rencontre. Serais-je à la hauteur de cette histoire, de ce terrible et déchirant cri de douleur, de cette si violente coupure d’oxygène, de cette troublante et si émouvante confidence ? 

Elles s’aiment et après des années d’attente, d’espoir et de désespoir, un bébé est annoncé. Mais la grossesse est compliquée et le pire arrive.

Les contrastes de la couverture m’avaient déjà fortement touchés. Le silence, tout d’abord, de cette barque terriblement immobile, cette silhouette stoppée dans l’élan, comme un arrêt sur image forcé pour suspendre le temps. Et puis, le vacarme assourdissant des flots et des vents contraires qui monte crescendo, comme une tempête qui gronde, un voyage chaotique vers un horizon semblant inatteignable. Magnétique. Au centre du tableau, la fragilité d’une vie qui peut basculer. Et pourtant cette lumière vive, ce vert intense, comme une aube, l’espoir d’un temps plus clément…

J’ai pris une grande respiration et j’ai plongé dans cet océan inconnu. 

Dès les premières images, le film se met en place, un rêve qui tourne au cauchemar, une pluie de sang dans laquelle elle se noie. Mon coeur s’accélère. Puis, l’attente insupportable, le découragement et enfin l’annonce de l’enfant qui arrive, inespéré, mais si fragile. Pour tenir dans cette épreuve, il y a cet amour tout d’abord, solide, indéfectible, et puis, il y a l’écriture comme une âme soeur, un refuge hors de la réalité. Écrire, comme une prière, pour que la vie s’accroche. Des mots posés sur le papier, empreintes concrètes, pour que l’histoire existe.

Laissez-moi partir avec lui…

Et puis en un instant, tout bascule, le trou noir, la vie s’éteint. Je suis submergée. Abasourdie. Encore ce silence comme un cri étouffé. Sentiment de colère. Des souvenirs flashs se cognent contre le mur de ma mémoire. Envie de hurler face à l’injustice qui les touche, elles, mais les larmes de l’impuissance affluent. Mon coeur de mère explose.

Perdue au milieu de nulle part. Le coeur hors de sa poitrine avec juste le vide qui résonne.

Il y a des livres qui vous secouent au point de vous éparpiller tel un puzzle aux quatre coins de votre conscience, puis qui vous amène à vous recentrer sur l’essentiel. 

La narration d’Ingrid CHABBERT, que je découvre dans ce nouveau style, est tout en retenue. Les dialogues laissent souvent la place à la force de l’image, terriblement efficace pour traduire les sentiments déchirants de ces deux femmes, chacune face à elle-même, mais toujours ensemble, poussées par cet amour inconditionnel, véritable armure pour surmonter l’épreuve et remonter à la surface.

Graphiquement, j’ai été éblouie par la finesse du trait de Carole MAUREL, une belle découverte. Les plans sont construits au rythme d’une pulsation. Souvent pudique, parfois brutal, retranscrivant avec justesse l’imprévisible. Lorsque la vie s’arrête, les couleurs s’effacent, le noir & blanc envahit les pages. Une réalité sombre, étouffante, vous plonge dans l’obscurité glaciale du désespoir. Et puis, un jour, une touche de couleur qui réchauffe, la couverture de ce carnet, véritable bouée de secours. Mais cet esquif de papier est fragile, le combat va être long, le doute et la culpabilité la rongent. Comment continuer à respirer ? Pourquoi ? Un détail qui rappelle la disparition, un bracelet de naissance, une cicatrice, et l’oxygène manque.

On a tous nos boules de malheurs à pousser.

L’eau est omniprésente, symbolisant tour à tour les différentes étapes du combat : l’engloutissement vers les abysses et la noyade, le ressac des vagues d’amertume, la confluence de tous les chagrins ; le calme plat inquiétant, l’étendue infinie où l’on cherche un nouvel horizon, une nouvelle terre ; la source de vie, l’inspiration créatrice. L’immensité comme une amie complice, toujours fidèle, confidente des tourments et miroir de l’âme.

L’envie d’écrire devient plus forte, comme un nouveau souffle qui va les aider à surmonter l’absence, non pas pour oublier car le lien est immortel, mais parce qu’elles ont choisi d’avancer, ensemble, loin des écumes. Une magnifique déclaration d’amour ! 

Auteure : Ingrid CHABBERT
Illustratrice : Carole MAUREL
Edition : Steinkis – 88 pages – 17 euros
Année : Février 2017

 

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