Dès la 4e de couverture, le ton est donné. Il n’y a pas d’échappatoire et l’on reste sans voix devant le constat glacial d’Efi : elle a 14 ans et comprend en quelques pages que son destin n’est plus entre ses mains, sa famille a décidé de la marier.
“En rentrant du collège ce jour-là, assise sur la mobylette d’oncle Blabla, même si j’ai mal aux fesses et que le chemin n’en finit pas sous le soleil qui devant nous rougeoie, je suis convaincue que le monde m’appartient. J’ignore encore que je me trompe et que c’est moi qui, depuis ma naissance, lui appartiens.”
Au fil des pages, la désillusion s’empare d’Efi. Elle ne comprend pas : ses parents l’ont envoyé faire des études, pour avoir une autre vie. Mais au retour chez elle pour les vacances après 6 mois d’absence, tout bascule et ses rêves s’écroulent. Le poids de la tradition, la fin de l’innocence, ses rêves d’avenir s’effondrent. Après l’incompréhension et la sidération, la peur s’installe, puis la révolte monte. Trahie, par sa propre famille. Devenue une marchandise. C’est impossible, le goût de la liberté est plus fort, il faut réagir. Mais comment ? Le temps presse et l’étau se resserre sur ce qui lui restait d’espoir d’un éventuel retournement de situation.
Middlewest T.1 Anger
Un grand coup de cœur pour ce comics façon road-trip teinté de fantastique ! Le scénario est bien ficelé, les dialogues justes et bien rythmés, le style graphique assez bluffant et les couleurs éclatantes, le travail d’impression est vraiment au rendez-vous.
Abel est un personnage vraiment attachant, en pleine adolescence bouillonnante et face à un mystère personnel qui le dépasse. En révolte contre son injuste père. Sa rencontre, façon Petit Prince, avec ce renard énigmatique qui devient son compagnon de route, arrive de manière si naturelle qu’on ne s’étonne pas de les voir discuter. On est dans un univers un brin manga pour les références aux mondes oniriques de Miyazaki, un peu dans le Monde de Milo pour le voyage de ce jeune garçon hors norme. Et puis on plonge dans un décor de fête foraine un peu psychédélique, entre rêve et réalité, entre cauchemar et monde post apocalyptique. La relation qui se noue entre le garçon et le renard est touchante, teintée d’humour car ça vanne sévère malgré le contexte effrayant et la menace qui rôde. Existe-t-il vraiment ? Est-ce sa conscience qui lui parle ? Chien de garde ou malin Goupil, il joue sur tous les tableaux, et quel caractère. On craque ! Et la brochette de personnages secondaires, Craw, Jeb, Bobby, Magda et Molette sont brossés avec talent et donne envie d’en savoir plus. Vite le tome 2 !
Plein gris
« Ce qui se passe en mer, reste en mer ».
Préparez-vous à embarquer pour une traversée qui vous laissera des traces.
Impossible de lâcher la lecture, vous vous agripperez aux pages pour tenir le choc sous la houle implacable de l’intrigue. Vous serez submergé.e comme les protagonistes par les émotions et les dangers qu’ils vont rencontrer. Huis clos haletant et humide, ce roman vous prend aux tripes et ne vous laisse que peu de répit pour reprendre votre respiration. On en ressort le corps essoufflé et lessivé, après un combat contre les éléments et les sentiments partagés, un goût amer de sel dans la bouche.
5 adolescents, un groupe un peu à part des autres lycéens, reliés par le charisme énigmatique d’un seul : Clarence. Bientôt le Bac mais avant la dernière ligne droite, la petite bande a réussi à négocier auprès des parents une virée en mer à bord du Céladon, pour rallier l’Irlande depuis leur Bretagne. Si Emma, Clarence, Sam naviguent depuis l’enfance, ce n’est pas le cas de Victor, le dernier à avoir rejoint le clan. La croisière vire brutalement en cauchemar lorsque Clarence, le leader solaire et narcissique que tous admire, est retrouvé mort noyé près de la coque de leur voilier. Tous les secrets de la bande remontent à la surface, les bons comme les plus nauséeux, les rancœurs, les lâchetés, tout ce qui fait et défait un groupe d’êtres en pleine construction. Le niveau d’inquiétude monte d’un cran lorsqu’ils se retrouvent pris dans une tempête dantesque où l’unique objectif est dorénavant la survie, coûte que coûte, remettant en question la force du collectif et exacerbant les tensions. Comment ont-ils pu en arriver là ? Leur amitié insubmersible pourra-t-elle éviter le naufrage ?
Le plongeon
Depuis La Maison de la Plage, j’attendais avec impatience la nouvelle collaboration entre Séverine Vidal et Victor L. Pinel. La couverture révélée en amont avait été d’une force, tant pour le titre que pour l’illustration, que la rencontre avec les personnages du Plongeon devenait urgente.
À 80 ans, Yvonne Lhermitte – dont le nom évoque douloureusement sa situation – vit seule dans sa grande maison vide. La solitude qui pèse depuis le décès de son mari, ce corps qui se fait plus douloureux, les enfants et les petits-enfants qui se font de plus en plus rares, et ce sentiment que la mémoire est en train de la lâcher, elle aussi. Terriblement angoissant. Terriblement inexorable ? Alors, à contre cœur, elle abandonne 40 ans de sa vie pour aller là-bas. Là où on regroupe les « anciens », ceux qui ne peuvent plus continuer seuls, ceux dont la famille ne peut plus s’occuper, ceux qui ont décroché de la réalité : en EHPAD.
Ce changement de vie est rude pour cette femme indépendante, encore bien consciente que cette nouvelle vie la rapproche inévitablement de la mort. Ce n’est pas un tournant, c’est la dernière ligne droite, et c’est d’autant plus bouleversant.
Séverine Vidal est une alchimiste qui sait faire surgir l’émotion pure quel que soit le format qu’elle touche des doigts : roman, nouvelle, album, BD… La triste actualité de la vie en EHPAD aujourd’hui fait écho à ce que vit Yvonne, et nous rappelle combien la vie passe vite.
Entre rires et larmes, ce roman graphique se lit le cœur serré. L’émotion vous prend dès les premières pages : le regard d’Yvonne sur sa chienne Bellouche dont elle se sépare, le dernier claquement de la porte d’entrée qu’elle n’ouvrira plus, ses doigts sur cette glycine qu’elle ne respirera plus. Il va falloir s’accrocher car ces évocations pleines de pudeur serrent déjà la gorge et humidifient le regard. La douleur d’Yvonne face à cette séparation définitive est vive. Si elle la cache à ses proches, elle confie au lecteur ses pensées intimes, comme une lettre d’adieu, expliquant combien elle a été heureuse dans cette maison : un mariage, des enfants, une vie familiale remplie avec le temps qui file sans qu’on s’en rende compte. Et puis, la perte de cet être cher et le sentiment « d’avancer en manquant de tomber à chaque pas ». Elle n’aura plus rien ici, alors elle part.
Les Beaux Etés (T1 à 5)
J’avais tellement aimé « Malgré tout » que j’avais envie de mieux connaître le travail de Jordi Lafebre.
Alors direction vacances estivales avec la truculente famille Faldérault, pour une plongée dans la vie, la vraie, de ceux qui attendent avec impatience cette pause bien méritée après une année de travail.
1973, 1969, 1980… On remonte le temps en grimpant avec Pierre, Mado, Julie-Jolie, Nicolas, Louis et Pépète dans leur 4L rouge Estérel destination le Sud depuis la Belgique.
Références musicales, littéraires, politiques jalonnent les aventures de cette famille hyper attachante, sur un rythme de flash backs réguliers où tous leurs souvenirs de vacances sont évoqués, souvent rocambolesques. C’est drôle, un brin décalé comme on aime. De l’amour, de l’amitié, des frères et soeurs soudés mais qui se charient, des parents toujours aussi amoureux et taquins et une brochette de personnages secondaires brossés avec humour mais bienveillance.
Les expressions des personnages sont croquées avec force minutie, les cadrages donnent du rythme à la narration et le travail sur la lumière est magnifique. J’ai aimé me retrouver comme une petite souris au coeur de cette famille qui s’aime si fort et qui garde toujours le sourire.
A déguster sans modération !