Avez-vous le cœur bien accroché ? J’espère car le nouveau roman d’Axl Cendres va vous alpaguer dans un roadtrip sensible et détonnant, où votre rythme cardiaque s’accélèrera au fil des pages.
Dès les premières lignes, le ton est donné : « Comme nous avons un petit nouveau parmi nous, et pour le mettre à l’aise, chacun va rappeler son prénom et la façon dont il a essayé de se suicider. » Ok, comme ça c’est clair, on entre tout de suite dans le vif du sujet, dans tous les sens du terme. Et bim, je te plante le décor direct dans l’hémisphère droit : une clinique psychiatrique fardée comme une « citadelle féérique », avec sur le devant de la scène des acteurs rescapés de la mort à l’écoute de leurs derniers maux et prêts à (re)sauter le pas.
Alex a 17 ans et comme il vient de tenter « d’abattre son cœur », il débarque à la Clinique de la Citadelle, un établissement haut de gamme pour fêlés en tous genres : Anorexiques, Alcooliques, SexAddicted et Suicidants comme lui… Autour de lui, le jeune Victor, la vieille Colette, le taciturne Jacopo qui s’ennuie à mourir et l’énigmatique Alice, une brochette de « hors la vie » sur la corde raide qu’on tente de réhabiliter à la vie via une thérapie de groupe mais qui ne l’entendent pas ainsi. Liés par leurs déchirures respectives, cette bande de suicidants projette de finir en beauté, mais ensemble, et à l’issue d’un ultime voyage les amenant au bord d’une falaise. Mortel comme programme, non ? Mais la route leur réserve quelques surprises de taille. Atteindront-ils leur morbide objectif ?
Attachez votre ceinture émotionnelle, ça va tanguer.
Et dire qu’il m’aura fallu Cœur Battant pour découvrir le talent d’Axl Cendres… Mais où étais-je auparavant pour ne pas avoir croisé cette plume percutante ? Et en même temps, quelle chance de découvrir un tel talent (on se console comme on peut, rester digne dans ses failles littéraires surtout et sourire). Quelle claque donc ! Je ne m’en suis pas encore dé-livrée… même après la deuxième lecture (deuxième et non pas seconde, car il y en aura d’autres).
«Je suis en vie à partir de toi.» La joie étoilait le visage de Maman comme une poudre de diamant.
Zoom sur les personnages qui m’ont particulièrement touché le cœur pour vous allécher un brin.
Alex, ce cœur à prendre ou à abattre donc, navigue entre mi-ombre et mi-lumière. Sa part d’ombre : la mort tragique de sa mère – perdue dans son monde – alors qu’il avait 8 ans, qu’il a refoulé en congelant ses émotions pour ne pas souffrir. Mais la glace vient de fondre et la douleur s’est réveillée, l’amenant à cette conclusion insupportable que tout son amour pour elle n’a pas su la guérir. Un personnage d’une grande intelligence et sensibilité, des hormones qui le travaillent et un cœur qui palpite malgré lui, un homme battant.
J’étais un gosse parmi d’autres, sauf que moi, mon enfance était terminée. Un enfant, ça se croit à l’abri du noir grâce à un ours en peluche; et la fin de l’enfance, c’est comprendre que rien, absolument rien, ne vous protège du noir.
Alice, son alter-égo(ïste), mi-ange mi-démon mais 100% cynique, cette « fille belle comme la nuit » qu’Alex – foudroyé dès le premier regard – imagine comme la femme de sa vie ou de sa mort. Bien plus fragile qu’elle ne paraît sous sa carapace blasée, résolue au pire pour être libérée.
Colette, cette vieille dame élégante à la verve fleurie, qui pense en avoir fini avec la vie, et qui balance ses punchlines décapantes façon aphorismes philosophiques, souvent teintés de noirceur, vous transperçant le cerveau et le cœur de vérités pleines de justesse et de sagesse. Un festival à la Audiard.
« Je ne connais pas les coups que la vie a donnés à cette petite, mais je peux voir qu’elle a des bleus plein les yeux. »
« Comme il y avait un blanc, Colette en a profité pour le noircir »
« C’est une jeune femme brillante. Malheureusement, le feu qui l’illumine est celui qui la consume… Une inflammable »
« À trop faire chauffer sa matière grise, elle finit par donner des idées noires. »
« La jeunesse, c’est être acteur de la construction de sa vie ; la vieillesse, c’est être spectateur de sa destruction. »
Au final, une bande de braqueurs d’émotions fortes diablement attachants qui vous embarquent dans un roadtrip palpitant, résolument poignant, où l’amour et l’amitié ont pris place aux côtés de la douleur et du désir de mort… Il n’y aura pas de la place pour tout le monde…
Les larmes qu’on verse sur la mort de sa mère sont celles qu’elle ne peut pas sécher ; c’est l’irrémédiable qui pleure l’irremplaçable. On ne se console jamais de la mort de sa mère.
Un focus sur le type de narration et le rythme de ce petit bijou d’orfèvrerie stylistique.
Tout au long du roman, on est aux côtés d’Alex (et d’Axl aussi 😉 ), on vit avec lui le chamboulement des émotions qui l’animent et le bouleversent, alternant entre phases analytiques d’introspection à froid et embrasement physiques incontrôlables mais électrisants.
Pourquoi on creuse des trous dans la terre pour que les morts soient enterrés ? Ce serait tellement plus beau si on creusait des trous dans le ciel pour que les morts soient encielés !
Côté style, l’autrice est un gage de qualité (vous le saviez déjà, bande de petits coquins chanceux) : une écriture dense et créative, une maîtrise de la langue, des dialogues ciselés donnant une voix spécifique à chaque personnage, leur conférant une réelle épaisseur charnelle et sonore. Un rythme enlevé, comme un battement de cœur qui s’accélère au fur et à mesure du voyage fou entrepris par les protagonistes. Complètement addictif, on est pris dès les premières pages, impossible de lâcher.
C’était la première fois que je faisais sourire Alice – c’était beau comme si j’avais tiré une flèche solaire dans son hiver.
Au bord de ses lèvres, mon cœur flambait, éclatant de lumières à en étoiler la nuit.
Le sujet : « La mort, une alternative à l’amour, pour éviter de souffrir ? » Vous avez deux heures… (jetez-vous sur le roman, vous aurez la réponse, je dis ça je dis rien). Humm bon alors comment recommander un livre qui parle d’un des sujets tabous les plus délicats : le suicide ? Là, ça devient un poil velu. Pas vraiment le sujet tendance des good feel book ado de tête de gondole, non ? Et pourtant, lectrice, lecteur, IL FAUT LIRE CE LIVRE !!! (je crie assez fort ou je recommence ?) Parce que justement, ce petit bijou aux mots justes brodés d’humour noir et de tendresse à fleur de peau aborde bien plus que le thème du suicide : la reconstruction, l’espoir, la force de l’amitié et la complexité de l’amour, la VIE quoi !
« L’amour », j’ai pensé à voix haute, « c’est gommer les laideurs du monde avec la beauté d’un seul être. »
Pourquoi j’ai aimé ? PARCE QUE C’EST UN BON LIVRE ! Un peu court comme explication ? Et bien c’est justement parce que Cœur Battant a tout ce que j’attends d’un bon livre, que c’en est un : un sujet original, des personnages profondément ciselés dans leur complexité et leurs fragilité, des dialogues qui clouent la cervelle tant c’est éclatant de lucidité, un rythme endiablé qui t’emmène hors de ton quotidien pour te faire vivre plus fort au creux des pages, un jeu de yoyo entre humour noir macabre et déchirement émotionnel…
« La candeur est à la vie ce qu’est la confiture à la tartine rassie : elle la rend moins dégueulasse. »
Un roman comme un refuge, une bulle trépidante de laquelle tu ne veux pas t’extraire car le retour à ton ordinaire va te paraître un brin lisse. Allez cours, il en reste encore quelques exemplaires chez ton libraire !
Instant confession.
Une fois le livre fini, un état de manque s’installe… Vite, vite lire autre chose de l’autrice, pour mieux appréhender cette musicalité des mots qui résonnent encore, pour mieux comprendre comment elle agence les ingrédients dans ces précédents romans pour aboutir à cette alchimie.
Comme l’explique l’éditeur, Tibo Bérard, dans Cœur Battant le sujet est présenté dès la première scène et les descriptions détaillées des lieux et des personnages mettent en place le cadre de l’intrigue, qui se densifie au fur et à mesure du roadtrip dans lequel se lancent les personnages.
« Cœur battant » est une chanson punk, brute et tendue comme une corde (une corde qui relierait humour et émotion, comme toujours chez Axl), là où « Dysfonctionnelle » est plutôt une symphonie, plus orchestrée, peut-être plus complexe aussi… J’adore les deux. Cœur battant frappe au cœur, Dysfonctionnelle éclate en feu d’artifice. »
Au final, une démonstration parfaite du talent complet d’Axl Cendres, qui sait si bien jouer avec le cœur du lecteur, sur le mode endurance ou sauts d’obstacle réguliers.
Un très grand merci aux éditions Sarbacane pour cette aventure formidable au pays des mots d’Axl Cendres… Je reviens de la bibliothèque avec Aimez-moi maintenant, Le secret d’Estéban etLes maux du cœur…
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Le lien vers la bande son, incontournable marque de fabrique Sarbacane : ici
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De la même autrice chez Sarbacane :
– Dysfontionnelle 2015
– La drôle de Vie de Bibow Bradley, 2012
– Echecs et But !, 2010
– Mes Idées Folles, 2009
– Aimez-moi Maintenant, 2008
– Confessions d’un apprenti gangster, 2013
– Le secret d’Estéban, 2012
– Les maux du cœur, 2011
2 commentaires
C’est sûr que le sujet n’est pas simple. Un roman, une plume, des personnages ♥
Dysfontionnelle et La drôle de Vie de Bibow Bradley m’ont beaucoup plu. Bonnes lectures avec ceux que tu as empruntés 😉
Merci. Le prochain sera la drôle de vie de Bibow Bradley…