L’été des Perséides

J’ai fini depuis quelques temps ce texte si particulier et les personnages me hantent encore.

Décidément, Séverine Vidal réussi à nous faire voyager quel que soit le format qu’elle choisi. Road-trip, confessions, souvenirs de famille, ode à l’enfance, introspection adolescente ou cri de liberté d’une vieillesse qui résiste, toutes ces voix portent en elles des parcours de vie qui interrogent l’intime et nous parlent au cœur.

Dès l’ouverture, les citations choisies m’ont donné envie de plonger : « J’ai vécu pour vous cette vie Et je vous aime à travers temps » Loïc Lantoine et ces mots d’Annie Ernaux confiant que « la distance qui sépare le passé du présent se mesure peut-être à la lumière répandue sur le sol entre les ombres ».

Car dans ce récit, il est question de temps justement, d’un temps qui courre face à un danger imminent, d’un temps qui file vers un orage qui gronde, d’un temps distendu, éclaté, qui relie des vies malgré elles, inexorablement.

C’est l’histoire de Jonas et d’Ana, deux êtres diablement attachants, lancés mystérieusement l’un vers l’autre, dans cet univers inquiétant des Everglades après une tempête magnétique hors du commun. Des phénomènes inexplicables se multiplient, les gens disparaissent étrangement, comme Evans, le collègue de Jonas. « Volatilisé ». Cela reste incompréhensible, si bien que cette tension, cette électricité ambiante nous plonge au fil des pages dans une atmosphère préoccupante. « Restez chez vous, ne sortez sous aucun prétexte ». Un vent de panique monte, la rumeur enfle, la ville semble gagnée par le chaos. Le rythme s’accélère, les dialogues trahissent le trouble général dans lequel sont projetés les personnages malgré eux. Une course contre le temps s’enclenche pour retrouver les disparus. Jonas part à la recherche d’Evans et Ana percute alors le chemin de Jonas. Tout les oppose, lui fils adoptif choyé, elle adolescente solitaire, deux abandonnés qui semblent pourtant bien se connaitre et se rejoignent dans une (en)quête qui les lie au-delà de ce qu’ils imaginent.

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Outrageusement romantique

Nouvel opus dans la collection Court Toujours et toujours aussi réussi. Prêt à plonger ? On plante le décor : un adolescent traine ses 14 ans en vacances en bord de mer. Pour amplifier le spleen : la pluie, des parents et une petite sœur pénibles, « ma mère a la force de persuasion des marées. De l’érosion ». Et l’ennui, le sentiment de décalage, d’être hors de cette vie, l’introspection. « Cet été-là, le soleil semblait avoir disparu du monde. »
Quand soudain, le choc, la rencontre d’un regard, celui de l’énigmatique Louise, inoubliable, absolue. Tout est chamboulé. Romantique ? Oui, et alors ! En secret avec Louise, il apprend la guitare ; il rêve à cet amour naissant qui l’obsède.

Ensemble, ils se complètent, ils s’accordent si bien selon lui, même si les parents ne s’en rendent pas compte. Une attirance mystérieuse, troublante, entre rêve et réalité, entre fantasme et souvenir, entrainés l’un par l’autre par l’envoûtante Chaconne de Bach. Et puis un coup de tonnerre ! Palpitant !

Je suis fan du format « nouvelle » qui embarque dès les premières lignes et promet un rythme soutenu vers la résolution d’une tension souvent « dramatique » (au sens théâtral) en peu de pages. Exercice difficile mais remarquablement réalisé par Manu Causse portant la voix de cet adolescent frappé par un coup de foudre. Pas de prénom, cela pourrait être vous ou moi, un choix qui implique encore plus le/la lecteurice. Et quel titre ! Le ton un peu sarcastique de cet ado mal dans sa peau sonne juste et prend le cœur, puis la tension monte d’un cran. Comme un éblouissement, le texte prend un autre éclairage lorsqu’il est question de Louise, l’espoir est là, le désir s’éveille, la confession du trouble qui prend ce jeune garçon et le dépasse touche par sa sensibilité.

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Izzie Nobody

Izzie entre au lycée. Cela pourrait paraître banal mais pour elle c’est un changement de vie complet. Vivant dans un quartier populaire, elle intègre un établissement très côté, très loin de son quotidien. Parce qu’elle est intelligente et que ses résultats sont excellents, la voici projetée malgré elle dans cet univers huppé. Sa mère est si fière de sa réussite, mais ce n’est pas l’avis d’Izzie, étouffée par cet enthousiasme inébranlable si gênant.

Le contraste est violent. Personne ne semble s’apercevoir de sa présence, invisible, transparente, ignorée car décalée. Tous la surnomme la « Nobody ». Après une période de repli sur soi, le caractère d’Izzie va se révéler. Tout bouillonne en elle, elle sent bien que ses réactions ne sont pas toujours les bonnes, mais parler est difficile. Et puis il y a Gustave, un peu écorché vif comme elle, un peu différent comme elle. Leur difficulté à trouver leur place va les rapprocher, tâtonnant sur les moyens de s’ouvrir au monde, de laisser cette petite voix intérieure s’affirmer afin de trouver leur voie.

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Plein gris

« Ce qui se passe en mer, reste en mer ».

Préparez-vous à embarquer pour une traversée qui vous laissera des traces.
Impossible de lâcher la lecture, vous vous agripperez aux pages pour tenir le choc sous la houle implacable de l’intrigue. Vous serez submergé.e comme les protagonistes par les émotions et les dangers qu’ils vont rencontrer. Huis clos haletant et humide, ce roman vous prend aux tripes et ne vous laisse que peu de répit pour reprendre votre respiration. On en ressort le corps essoufflé et lessivé, après un combat contre les éléments et les sentiments partagés, un goût amer de sel dans la bouche.

5 adolescents, un groupe un peu à part des autres lycéens, reliés par le charisme énigmatique d’un seul : Clarence. Bientôt le Bac mais avant la dernière ligne droite, la petite bande a réussi à négocier auprès des parents une virée en mer à bord du Céladon, pour rallier l’Irlande depuis leur Bretagne. Si Emma, Clarence, Sam naviguent depuis l’enfance, ce n’est pas le cas de Victor, le dernier à avoir rejoint le clan. La croisière vire brutalement en cauchemar lorsque Clarence, le leader solaire et narcissique que tous admire, est retrouvé mort noyé près de la coque de leur voilier. Tous les secrets de la bande remontent à la surface, les bons comme les plus nauséeux, les rancœurs, les lâchetés, tout ce qui fait et défait un groupe d’êtres en pleine construction. Le niveau d’inquiétude monte d’un cran lorsqu’ils se retrouvent pris dans une tempête dantesque où l’unique objectif est dorénavant la survie, coûte que coûte, remettant en question la force du collectif et exacerbant les tensions. Comment ont-ils pu en arriver là ? Leur amitié insubmersible pourra-t-elle éviter le naufrage ?

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Le plongeon

Depuis La Maison de la Plage, j’attendais avec impatience la nouvelle collaboration entre Séverine Vidal et Victor L. Pinel. La couverture révélée en amont avait été d’une force, tant pour le titre que pour l’illustration, que la rencontre avec les personnages du Plongeon devenait urgente.

À 80 ans, Yvonne Lhermitte – dont le nom évoque douloureusement sa situation – vit seule dans sa grande maison vide. La solitude qui pèse depuis le décès de son mari, ce corps qui se fait plus douloureux, les enfants et les petits-enfants qui se font de plus en plus rares, et ce sentiment que la mémoire est en train de la lâcher, elle aussi. Terriblement angoissant. Terriblement inexorable ? Alors, à contre cœur, elle abandonne 40 ans de sa vie pour aller là-bas. Là où on regroupe les « anciens », ceux qui ne peuvent plus continuer seuls, ceux dont la famille ne peut plus s’occuper, ceux qui ont décroché de la réalité : en EHPAD.

Ce changement de vie est rude pour cette femme indépendante, encore bien consciente que cette nouvelle vie la rapproche inévitablement de la mort. Ce n’est pas un tournant, c’est la dernière ligne droite, et c’est d’autant plus bouleversant.

Séverine Vidal est une alchimiste qui sait faire surgir l’émotion pure quel que soit le format qu’elle touche des doigts : roman, nouvelle, album, BD… La triste actualité de la vie en EHPAD aujourd’hui fait écho à ce que vit Yvonne, et nous rappelle combien la vie passe vite.

Entre rires et larmes, ce roman graphique se lit le cœur serré. L’émotion vous prend dès les premières pages : le regard d’Yvonne sur sa chienne Bellouche dont elle se sépare, le dernier claquement de la porte d’entrée qu’elle n’ouvrira plus, ses doigts sur cette glycine qu’elle ne respirera plus. Il va falloir s’accrocher car ces évocations pleines de pudeur serrent déjà la gorge et humidifient le regard. La douleur d’Yvonne face à cette séparation définitive est vive. Si elle la cache à ses proches, elle confie au lecteur ses pensées intimes, comme une lettre d’adieu, expliquant combien elle a été heureuse dans cette maison : un mariage, des enfants, une vie familiale remplie avec le temps qui file sans qu’on s’en rende compte. Et puis, la perte de cet être cher et le sentiment « d’avancer en manquant de tomber à chaque pas ». Elle n’aura plus rien ici, alors elle part.

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